Restez pour dîner !

Faites l’éloge de la nourriture

Celle-ci sera votre medium /votre matière première.
Choisissez vos « ingrédients » pour leurs qualités plastiques, physiques et/ou sémantiques

> Comment la nourriture peut devenir un moyen d’expression ?

/Définitions :

Éloge: Discours prononcé ou écrit vantant les mérites, les qualités de quelqu’un ou de quelque chose.

/ Texte de Francis PONGE :

L’Orange

Comme dans l’éponge il y a dans l’orange une aspiration à reprendre contenance après avoir subi l’épreuve de l’expression. Mais où l’éponge réussit toujours, l’orange jamais : car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés. Tandis que l’écorce seule se rétablit mollement dans sa forme grâce à son élasticité, un liquide d’ambre s’est répandu, accompagné de rafraîchissement, de parfums suaves, certes, mais souvent aussi de la conscience amère d’une expulsion prématurée de pépins.
Faut-il prendre parti entre ces deux manières de mal supporter l’oppression ? L’éponge n’est que muscle et se remplit de vent, d’eau propre ou d’eau sale selon : cette gymnastique est ignoble. L’orange a meilleurs goût, mais elle est trop passive, et ce sacrifice odorant… c’est faire à l’oppresseur trop bon compte vraiment.
Mais ce n’est pas assez avoir dit de l’orange que d’avoir rappelé sa façon particulière de parfumer l’air et de réjouir son bourreau. Il faut mettre l’accent sur la coloration glorieuse du liquide qui en résulte et qui, mieux que le jus de citron, oblige le larynx à s’ouvrir largement pour la prononciation du mot comme pour l’ingestion du liquide, sans aucune moue appréhensive de l’avant-bouche dont il ne fait pas hérisser les papilles.
Et l’on demeure au reste sans paroles pour avouer l’admiration que suscite l’enveloppe du tendre, fragile et rose ballon ovale dans cet épais tampon-buvard humide dont l’épiderme extrêmement mince mais très pigmenté, acerbement sapide, est juste assez rugueux pour accrocher dignement la lumière sur la parfaite forme du fruit.
Mais à la fin d’une trop courte étude, menée aussi rondement que possible, il faut en venir au pépin. Ce grain, de la forme d’un minuscule citron, offre à l’extérieur la couleur du bois blanc de citronnier, à l’intérieur un vert de pois ou de germe tendre. C’est en lui que se retrouvent, après l’explosion sensationnelle de la lanterne vénitienne de saveurs, couleurs, et parfums que constitue le ballon fruité lui-même, la dureté relative et la verdeur (non d’ailleurs entièrement insipide) du bois, de la branche, de la feuille : somme toute petite quoique avec certitude la raison d’être du fruit.

Francis Ponge,  Le parti pris des choses, 1942

> Petit Commentaire :

1/Une description

-Paragraphe 1: pose une analogie qui dramatise le résultat de la pression, évoqué par la précision « écorce, liquide, pépins »
-Paragraphe 2: poursuite de la différenciation avec développement de métaphores guerrières, passionnelle « oppression, passive, sacrifice odorant » qui humanise l’orange.
-Paragraphe 3: célébration du « liquide » situé au centre du poème comme le jus à l’intérieur du fruit. Équivalence entre le plaisir gustatif et la jouissance verbale.
-Paragraphe 4: en jouant de la prétérition (dire que nous ne disons pas ce que néanmoins nous disons), tend à cerner, toujours de manière élogieuse, les particularités de l’écorce = renforcement de la vigueur de l’éloge et en même temps frustration de la part du poète.
– Paragraphe 5: description détaillé du « pépin » : développement du mot qui clôt le premier paragraphe par la description ultime du « grain », réintroduit le lecteur dans un microcosme contenant le macrocosme initiale. Le poème en prose est clôt.

2/Un investissement passionnel dans la présentation de l’objet

– La poésie compense l’arbitraire du langage.
rapport entre le mot « orange » et la lettre « o »
l’OR de l’Orange appelle « la coLORation gLORieuse du liquide »
– féminisation de l’orange et éloge du « liquide » : éveille la gourmandise du lecteur, signale la présence d’une activité désirante.
– Qualité picturale des premiers et derniers paragraphes « lanterne vénitienne », « liquide d’ambre », « couleur du bois blanc » et sert à exprimer une sorte d’exultation du poète devant le fruit jusqu’à « l’explosion sensationnelle ».

>  le poète cherche à restituer le plus précisément possible ce qui fait le charme de ce fruit, sa singularité et la fascination qu’il exerce.

/Références :

BEUYS Joseph (192-1986)
Chaise de graisse, 1963, chaise en bois et graisse animale, 90x30x30 cm.

BOLTANSKI Christian (1944-…)
Sans titre, 1971, vitrine contenant 98 sucres taillés et fixés sur carton, 56 × 85,5 × 10 cm.

PENONE Giuseppe (1947-…)
Courges, 1978-1979

BARCELO Miquel (1957-…)
Cadaverina 15, 1976, 225 petites boîtes (15 séries de 15 boîtes pendant les 15 jours de l’exposition) contenant des éléments organiques (oeuf, poisson, soupe, foie, banane, riz bouilli, spaghetti, pain …).

LESUEUR Natacha (1976-…)

DELVOYE Wim (1965-…)
Planchers de marbre, morceaux de charcuterie disposés en marqueterie.

MARESCHAL Laurent (1975-…)
Beiti (Ma maison ou Comme à la maison), 2011, installation éphémère faite de sable et d’épices

HAN Myung (1958-…)
Muraille de riz, 2005, rangs de grains de riz collés, sur 12 m de long.

YAMAMOTO Motoï (1966-…)
Labyrinthe de sel, 2011

Sophie Calle

/Notions :

/Compétences travaillées :

/Travaux d’élèves :